domingo, 3 de enero de 2010

La question économique vue par la Doctrine Sociale de l’Eglise.

Plan du travail

INTRODUCTION

I. L’IMPORTANCE DE L’ECONOMIE DANS LA VIE DE L’HOMME
1. L’économie comme activité humaine
2. L’activité économique au service de la société

II. INITIATIVE PRIVEE ET ENTREPRISE
1. La finalité dans la création des entreprises
2. Le rôle des chefs des entreprises

III. ECONOMIE ET MONDIALISATION
1. La mondialisation de l’économie
2. Les implications de la mondialisation

IV. MORALITE ET ECONOMIE
1. Séparation ou réciprocité
2. Le problème des fins et des moyens en économie.

V. EVALUATION CRITIQUE

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION

Devant la réalité des foules humaines qui manquent même du strict nécessaire pour vivre, l’on est arrivé à constater que les malheurs qui sont les nôtres aujourd’hui sont dus à une mauvaise gestion des richesses du monde. D’où la nécessité de prendre conscience de toute l’ampleur de la misère humaine qui est quelque fois le résultat direct de la manière dont certains responsables ont organisé la vie économique dans leur pays, créant ainsi un fossé entre les nantis et les indigents. C’est face à cette situation que la D.S.E (Doctrine sociale de l’Eglise) apporte à notre époque une conception de l’économie sociale qui est fortement liée à la conception chrétienne de l’être humain. Cette notion, nous montre comment « l’Eglise remplit sa mission d’ordre spirituel, moral et social en n’abandonnant pas l’homme dans cette tâche complexe […] pour que les membres de la cité terrestre et leurs gouvernants construisent eux-mêmes un ordre social, plus conforme au vrai bien des hommes et aux exigences de la paix »[1]. Quel est donc cet apport de l’Eglise au sein de la vie économique des hommes de notre temps ? Répondre à cette interrogation revient à souligner d’abord l’importance de l’économie dans la vie sociale, à relever ensuite le sens des entreprises, ainsi que celui de l’économie dans un contexte de mondialisation et, enfin à présenter le rapport entre la morale et l’économie. Nous ne saurons terminer notre réflexion sans faire une analyse critique de ce rapport entre l’économie et l’Eglise.

I. L’IMPORTANCE DE L’ECONOMIE DANS LA VIE DE L’HOMME

1. L’économie comme activité humaine

D’après, le pape Pie XII, « le problème le plus important est celui de l’organisation d’une économie sociale, qui ait pour fin de satisfaire les besoins de l’homme, de respecter sa nature et sa dignité, en mettant à la disposition de tous les hommes les conditions matérielles, les biens et les services qui rendront possible et facile une élévation humaine, une vie plus humaine »[2]. Ceci pour rendre compte des multiples caractéristiques de cette économie telle que décrite par le Magistère.


a- Une économie au service de l’homme

L’importance de l’économie se fait ressentir dans la vie des hommes lorsque celle-ci selon la D.S. E., commence par respecter et garantir le primat de l’homme sur les choses, les biens matériels, les richesses ainsi que les progrès techniques. Parce que l’organisation économique ne doit pas faire abstraction de l’homme, elle doit plutôt le placer au centre de toute activité économique. C’est dans ce sens que « L’Eglise s’est efforcée avec ténacité d’obtenir que l’on tienne compte de l’homme, plus que des avantages économiques et techniques »[3].
L’économie humaine doit également rechercher la satisfaction des besoins primordiaux de l’homme, notamment « ceux de nourriture, de vêtement, de logement, de culture personnelle, d’éducation des enfants de saine restauration du corps et de l’âme »[4]. Cette économie d’après la D.S.E. est appelée à harmoniser la production à la consommation en tenant compte des besoins et de la dignité humaine. C’est dans cette perspective que nous pouvons comprendre le jugement sévère que le pape Pie XII a porté contre toute forme d’économie déshumanisante. Dans l’Encyclique Quadragesimo Anno, il déclare : « Il arrive trop souvent que ce ne sont plus les besoins humains qui règlent suivant leur importance naturelle et objective la vie économique et l’emploi du capital, mais au contraire le capital et ses visées de gain qui déterminent quels besoins il faut satisfaire et dans quelle mesure ils doivent l’être. En sorte que ce n’est pas le travail humain au service du bien commun qui attire et emploie le capital, mais au contraire le capital qui dispose du travail et de l’homme lui-même et le meut à son gré comme les boules dans la main d’un joueur »[5].

b- Une économie qui tient compte de la nature humaine

Si l’homme vient en premier, s’il est au centre de toute activité économique, c’est en raison non seulement de sa dignité, mais aussi de sa personne et de sa nature humaine. Ce qui fait admettre au pape Pie XII que « l’économie humaine est celle qui tient compte de sa nature complexe ; de son unité vivante, à la fois corps et âme, matière et esprit, individu et personne, de l’homme total, être raisonnable et spirituel, être social et être libre, enfant des hommes et fils de Dieu »[6]. Car :
L’homme comme être corporel a besoin de nourriture, de santé et de repos ;
En tant qu’être raisonnable et spirituel, l’homme est appelé « à une vie de l’esprit, et de raison, de l’intelligence, avec des besoins de culture, appelé aussi à une vie spirituelle, morale, religieuse pour ne pas demeurer esclave de ses sens, de ses caprices, de ses instincts […] appelé enfin à une vie d’intimité avec Dieu, comme fils de Dieu »[7] ;
Comme être social, l’homme entretient des rapports de solidarité avec d’autres : solidarité au niveau de la famille, solidarité au sein de la communauté nationale et internationale ;
L’homme, en tant qu’être libre, doit pouvoir choisir sans contrainte des personnes avec qui collaborer en vue de tendre vers une vraie fin économique sociale.
2- L’activité économique au service de la société
Selon l’enseignement social de l’Église, les biens que l’homme possède conservent une destination universelle c’est-à-dire, que les biens sont non seulement au service de l’homme, mais aussi au service de la société. De ce fait, l’économie a son importance dans la mesure où elle est orientée vers le bien commun. Et la question que l’on peut se poser est de savoir pourquoi l’économie doit être orientée vers le bien commun ou encore pourquoi l’économie doit être au service de la société.
a- L’ordre social
Le but vers lequel tend l’économie est le bien commun en vue de l’ordre social. Selon Pie XII ce but, c’est de mettre, d’une façon stable, à la portée de tous les membres de la société, les conditions matérielles requises pour le développement de leur vie culturelle et spirituelle. Ici, il n’est pas possible d’obtenir quelque résultat sans ordre extérieur, sans des normes sociales qui visent à l’obtention durable de cette fin.
L’économie mise au service de la société suppose un ordre public. Ce qui garantit la sécurité sociale des citoyens. L’enseignement social de l’Église souligne que c’est une exigence d’avoir une stabilité et une permanence dans les conditions de cet état public : rien n’est plus funeste au bien commun que les changements, des résolutions, des crises d’instabilité dans le gouvernement qui a la responsabilité de cet ordre public.
b- La libération de l’homme
L’Église enseigne que les biens que les hommes possèdent conservent une dimension universelle et que toute forme d’accumulation contraste avec la destination universelle accordée par Dieu à tous les biens. A cet effet, l’homme doit donc se consacrer avec la foi, l’espérance et la charité pour faire de l’économie un instrument de libération, c‘est à dire de progrès et de transformation positive de la société. Ceci n’est possible que par l’expression concrète d’amour et de solidarité véritables pour que, celui qui possède soit libre et se détache des biens matériels par le partage. De ce fait, le salut du chrétien est une libération intégrale de l’homme. Une libération par rapport au besoin, mais aussi par rapport à la possession « car la racine de tous les maux ; c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi ».1 Timothée 6, 10.
Les pères de l’Église traitant de la dimension économique dans la vie de l’homme, insistent sur la nécessité de la conversion et de la transformation des consciences des croyants, plus que sur les exigences des changements de structures sociales, mais beaucoup plus à ceux qui s’adonnent au domaine économique et qui possèdent beaucoup de biens de se considérer comme des administrateurs de ce que Dieu leur a confié. L’importance de l’économie est d’être foncièrement au service de l’homme et de ce fait destinée à produire des bénéfices pour les hommes et pour la société.
II. INITIATIVE PRIVEE ET ENTREPRISE

Selon la définition de l’encyclopaedia universalis, l’entreprise se comprend comme « unité économique à but commercial »[8]. Etant donné que l’Etat ne peut pas satisfaire tous les citoyens en matière de demande d’emploi, il est encourageant de mettre sur pied les entreprises pouvant offrir du travail au peuple. D’après le concile Vatican II, Gaudium et spes : « Dans la vie économico-sociale, il faut honorer et promouvoir la dignité de la personne humaine »[9]. Pour dire que toute activité économique est au service de l’homme et non le contraire. Ainsi, comme l’homme est le centre et même le but de toute vie économique, il en résulte que tous les biens matériels sont créés pour lui et pour qu’il s’en serve et non pour que les choses créées le rendent esclave. C’est pourquoi dans la création des entreprises, les droits fondamentaux de la personne en général et les droits des travailleurs en particulier doivent être mis en vigueur pour que l’activité économique s’exerce dans les limites de l’ordre moral.

La finalité dans la création des entreprises

Vu que l’économie est une préoccupation quotidienne humaine, la D.S.E ne pourrait ne pas se prononcer sur la prise des initiatives en vue de l’amélioration du domaine économique, surtout en donnant des orientations de l’activité économique et précisant sa finalité dans la création des entreprises. Celles-ci sont à la base de tout développement économique. Selon la D.S.E, la visée fondamentale de l’entreprise doit être le bien commun de la société : « L’entreprise doit se caractériser par la capacité de servir le bien commun de la société grâce à la production de biens et de services utiles »[10]. Les biens produits par l’entreprise doivent être bénéfiques non seulement aux propriétaires de l’entreprise mais aussi aux autres sujets intéressés à son activité. La recherche du bien commun nécessite des efforts de tous les membres de l’entreprise d’où l’importance d’une franche collaboration dans tous les niveaux. Ainsi l’entreprise joue-t-elle une autre fonction qui est une fonction sociale : elle est « une opportunité de rencontre, de collaboration, de mise en valeur des capacités des personnes impliquées »[11]. Il y a tant d’autres fonctions accomplies par les entreprises : contribuer à la mise en valeur du travail, au développement du sens de responsabilité personnelle et sociale, à la vie démocratique, aux valeurs humaines utiles au progrès du marché et de la société.

Bien que l’entreprise, à première vue, soit une structure génératrice du capital, on ne doit pas oublier qu’elle est constituée par des sujets moraux, c’est pourquoi elle n’est pas seulement une société de capital, elle est en même temps une société de personnes qui rassemble de différentes manières ceux qui fournissent le capital nécessaire à son activité et ceux qui y collaborent par leur travail[12]. Dans le même sens du bien commun de la société, les artisans et les coopérateurs des petites, des moyennes et des grandes entreprises jouent un grand rôle dans la société : « Ils contribuent à éveiller parmi leurs concitoyens le sens des responsabilités et l’esprit de collaboration, non moins qu’à maintenir vivant le goût du travail original et de qualité »[13]. En somme, nous pouvons dire que la D.S.E voit dans l’entreprise un moyen pour le développement authentique et intégral de l’humanité, raison pour laquelle il faut des dirigeants des entreprises animés par la sagesse.

Le rôle des chefs des entreprises

Pour la bonne marche des entreprises, la participation de chacun est vivement recommandée, quel que soit son rang ou son grade. Les conflits qui peuvent naître au sein d’une entreprise doivent être résolus pacifiquement toujours en ayant à cœur les droits et les devoirs des travailleurs et en gardant davantage le primat de la personne sur les choses. C’est la responsabilité des dirigeants des entreprises de maintenir et de cultiver l’unité, la communication et la collaboration qui doit régner au sein de l’entreprise. « On doit tendre à faire de l’entreprise une véritable communauté humaine, qui marque profondément de son esprit les relations, les fonctions et les devoirs de chacun de ses membres »[14]. Le pape Jean XXIII dans son encyclique Mater et Magistra continue à annoncer que « cet objectif requiert, entre chefs d’entreprises ou cadres et travailleurs, des relations de respect mutuel, d’estime et de bienveillance. Il exige aussi une collaboration loyale et effective de tous à l’œuvre commune. Dans leur travail ils ne doivent pas voir seulement une source de revenus, mais une tâche à eux confiée, un service rendu à autrui. Il faut donc que la voix des travailleurs soit entendue et qu’ils soient admis à prendre part au fonctionnement et au développement de l’entreprise »[15]. Compte tenu des systèmes de production qui se modernisent de jour en jour, il est recommandé aux dirigeants des entreprises de fournir plus de moyens et de temps aux travailleurs pour qu’ils s’instruisent et se mettent à jour. Puisqu’il est aussi du devoir de chacun de contribuer au progrès de la vie économique, l’aptitude et la qualification de la part des entrepreneurs et de la part des travailleurs est effectivement nécessaire.

En ce qui concerne les associations des travailleurs, il est indispensable que les responsables des entreprises prennent en compte ces associations ou syndicats surtout en matière juridique dont le but n’est pas la lutte entre employeurs et employés mais plutôt leur sincère collaboration. Qu’à cela ne tienne, il est important que les travailleurs disposent de quelques représentants qui veilleront de près à leur bon traitement et qui revendiqueront leurs droits en cas d’oppression au travail. Ainsi, il convient aux entrepreneurs et aux dirigeants des entreprises de promouvoir et de défendre les droits des travailleurs en prenant en considération leurs syndicats et leurs associations. L’estime de l’O.I.T. (Organisation International du Travail) en est l’exemple illustratif. Les chefs des entreprises doivent également se préoccuper d’améliorer le sort moral et matériel de leurs travailleurs.

III. ECONOMIE ET MONDIALISATION

1. La mondialisation de l’économie

L’homme, étant un être de désir, est fondamentalement poussé vers le bonheur. En même temps il est toujours avec les autres au monde. Comment peut-il arriver alors à la plénitude de son bonheur en tenant compte non seulement de lui mais aussi des autres ? Comment dans un monde fluctuant, l’homme, être contingent, peut-il relever le défi de l’éclosion de l’humanité en lui-même et en son semblable ? Voilà une des tâches de la philosophie qui par son activité réflexive cherche toujours comment humaniser le monde. L’Eglise aussi intervient à ce point pour proposer une voie authentique de l’humanisation du monde à ses fidèles et aux hommes de bonne volonté. De nos jours, dans le contexte de la mondialisation, la société vit plus que jamais les profondes mutations économiques accompagnées de crises. L’homme se découvre finalement sans repère fiable. Le monde est appelé à redéfinir ses repères économiques s’il ne veut pas aller à sa perte.

La mondialisation se définit, selon Guy Savi, comme « le processus historique par lequel les activités humaines s’accroissent sur des distances significatives à l’échelle mondiale »[16]. C’est en fait une interdépendance économique et l’expansion des échanges et interactions entre les hommes[17]. De même que la mondialisation évolue, de même sa culture s’affermit et engendre des failles qui favorisent le développement d’une crise des mœurs. C’est ainsi donc que l’Eglise (catholique), qui prône l’importance de veiller sur la transmission de la culture, humanise l’homme en luttant contre vents et marais d’une mondialisation exagérée. Nous pouvons dire que la mondialisation est aussi vieille que le monde surtout avec les stoïciens qui se disaient citoyens du monde.

Le mot économie vient de deux racines grecques : oikos qui veut dire maison, et nomos qui signifie ordre, loi, principe ou règle. Dans ce contexte nous définissons l’économie comme le principe qui organise la vie. A chaque période de l’histoire, nous voyons les peuples qui ont voulu conquérir le monde entier parce qu’ils étaient économiquement puissants. Cela veut dire que l’économie est une puissance et qu’elle est à la base de tous les rapports sociaux, politiques et humains de tous les temps. C’est pour cela que la mondialisation ne saurait être détachée de l’économie.

Après la deuxième guerre mondiale, l’histoire se souvient que l’Europe de l’Ouest, qui était très forte à cause de la révolution industrielle, s’est affaiblie terriblement. Et les Etats-Unis commencèrent à se comporter en maître à leur tour. C’est dans ce contexte qu’ils ont proposé aux pays européens un plan de reconstruction sous le paradigme capitaliste. Seuls les Etats socialistes à cette époque ont refusé le « plan Marshall ». Dès lors le centre économique du monde a quitté l’Europe en faveur des Etats-Unis d’Amérique. C’est à cette époque que se situe le tournant nonchalant de la mondialisation aujourd’hui[18].

Autrefois l’économie était fermée. Chaque pays contrôlait ses biens sans aucune ingérence extérieure (le protectionnisme). C’est avec la chute du mur de Berlin en 1989 que la mondialisation a réussi à s’imposer et à faire du monde un village global, dirigé par l’économie. Mais les uns s’en réjouissent, les autres s’en épouvantent. Car la distance qui existe entre les promesses de cette économie mondiale et leur réalisation laisse place à un sentiment d’inquiétude. C’est pourquoi l’Eglise, habitée par une conscience collective, réagit à tout ce qui affecte pour le meilleur et le pire, les relations entre les hommes et les peuples[19].

2. Les implications de la mondialisation

Comme nous venons de le voir, la mondialisation a réussi à s’imposer au monde entier comme une condition importante pour tout pays qui désire communier avec le reste du monde. « Freiner, ou s’opposer à cette évolution naturelle et inévitable est considéré comme faire acte d’aveuglement, d’inconscience, comme si l’on s’excluait de l’histoire »[20]. Autrement dit, il est difficile de se passer de la mondialisation qui est inséparable de l’économie. De son côté aussi, l’Eglise pense que le souci du bien commun s’impose à toute personne de bonne volonté pour réagir à la redistribution des richesses mondiales face auxquelles les plus démunis n’ont pas l’accès possible. Cela nous invite à chercher en quoi ce système est utile aux habitants du monde. Quels sont ses avantages et ses inconvénients aux citoyens du monde pour lesquels l’Eglise se fait porte parole ?

Par définition, l’idéal de la mondialisation est magnifique. Il s’agit de permettre les biens des pays de circuler librement sans barrière. Mais il faut voir quelles sont les conditions à remplir pour pouvoir faire entrer ses articles dans un autre pays, surtout quand ce pays n’en a pas trop besoin, je veux dire les relations nord-sud. C’est cela même un des grands problèmes de la mondialisation. La mondialisation se veut universelle, cependant elle se montre partielle. C’est-à-dire qu’elle favorise une double évolution apparemment contradictoire qui s’exprime par la globalisation et le désir de la solidarité des pays mais qui s’accompagne en même temps d’une multiplication des forces centrifuges au sein des Etats[21].

Il est vrai que, avec la mondialisation le marché devient plus grand mais aussi, son extension doit s’accompagner d’une prise de conscience plus mûre de la part des organisations de la société civile car, la mondialisation ne doit pas être un nouveau type de colonialisme. Il ne faut pas que la mondialisation profite seulement aux pays producteurs au détriment des pays consommateurs. Donc une attention particulière doit être accordée aux spécificités locales et aux diversités culturelles, qui risquent d’être compromises par le processus économiques et financiers en cours[22].

Ainsi l’Eglise réagit par rapport aux espoirs et désespoirs que ce système suscite en nous : « En analysant le contexte actuel, outre à identifier les opportunités qui se manifestent à l’ère de l’économie globale, on perçoit aussi les risques liés aux nouvelles dimensions des relations commerciales et financières »[23]. Parmi ces risques nous pouvons remarquer par exemple, une économie financière qui est une fin en soi et qui par là se contredit en se privant de ses propres racines et de son rôle originel de développer les personnes et les communautés humaines. C’est pour quoi dans son encyclique Quadragesimo Anno, le pape Pie XI souhaite que l’économie ait comme principe la charité et la justice sociales pour ne pas laisser la concurrence, bien qu’elle soit légitime, servir de norme régulatrice à la vie économique[24]. Car, ajoute le pape Pie XII, « la richesse économique d’un peuple ne consiste pas proprement dans l’abondance des biens, murée selon un calcul matériel pur et simple de leur valeur, mais bien dans ce qu’une telle abondance représente et fournit réellement et efficacement comme base matérielle suffisante pour le développement personnel convenable de ses membres »[25].

Riccardo, (politologue, économiste et professeur à l’Université catholique de Louvain) à son tour, exprime son regret d’une économie libérale qui nous entraînera un jour dans un abîme insondable. Car les succès réalisés dans la libération des marchés industriels, agricoles, voire des services (y compris le domaine culturel) ont donné une forte impulsion au processus de déréglementation du fonctionnement de l’économie[26]. L’Etat n’a plus rien à voir dans les affaires économiques de base, c’est aux capitaux organisés et circulant librement à l’échelle mondiale que revient la fonction régulatrice de l’économie mondiale, ce qui constituera à la longue un délit. « Pour que les marchés financiers mondiaux exercent, de manière efficace, une telle fonction, nos économies ont été l’objet d’une mainmise privée systématique, grâce aux processus massifs et rapides de privatisations de tout ce qui est privatisable »[27]. Autrement dit l’économie libérale s’exerce au prix même de ce qui devrait constituer le minimum des besoins des hommes, tels que l’eau et les hôpitaux.

Enfin, après avoir analysé cette problématique de l’économie et mondialisation , nous pouvons comprendre pourquoi le magistère, à travers le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise peut nous proposer ce qui suit : « Il est donc indispensable que les institutions économiques et financières internationales sachent trouver des solutions institutionnelles plus appropriées et qu’elles élaborent les stratégies d’action les plus opportunes afin d’orienter un changement qui, s’il était subi passivement et livré à lui-même, provoquerait des résultats dramatiques surtout au détriment des couches les plus faibles et sans défense de la population mondiale »[28].

IV. MORALITE ET ECONOMIE

1. Séparation ou réciprocité

La morale et l’économie se distinguent par le fait que l’une s’occupe de la discipline des mœurs alors que l’autre s’attarde sur la chaîne de production et de consommation. Aussi, l’une dirige la conduite humaine et l’autre le bon déroulement du marché public. Selon la doctrine sociale de l’Eglise, l’ordre économique et l’ordre moral ne doivent pas être séparés. En effet, entre ces deux entités, il faut toujours une réciprocité car, dans le domaine moral on tient compte de l’économie, puisque toute conduite morale est orientée vers le développement solidaire c'est-à-dire vers la chose commune ; raison de plus pour l’économie qui, à son tour, est appelée à s’ouvrir aux questions morales : entre autres celle de promouvoir la dignité de la personne humaine. C’est pourquoi, le Pape Jean Paul II nous parle du problème des valeurs dans son Encyclique Sollicitudo rei socialis[29] ; il ne s’agit pas uniquement des valeurs boursières mais des valeurs authentiques selon lui. Ce sont celles qui permettent le développement concret de la personne. Dès lors, la morale est une condition pour atteindre des objectifs économiques et sociaux.
Par ailleurs il est important de s’attarder sur le problème de la « valeur ». En économie, la valeur tient compte de l’usage et de l’échange, tandis qu’en morale elle se base uniquement sur l’homme. La valeur d’usage en économie est basée sur l’utilité, or il ne suffit pas d’avancer qu’un bien est utile, pour qu’il ait aussitôt de la valeur. L’utilité est donc relative parce qu’elle se caractérise par le besoin de l’homme. Mais comme les besoins humains sont infinis, il faut à cet effet les réguler et les discipliner quitte à ce qu’ils ne deviennent un danger pour ses congénères. En ce sens tout développement économique ne doit pas viser le quantitatif mais plutôt le progressif, nous redit encore le Pape Jean Paul II. En effet, le fait de vite posséder et vouloir en jouir immédiatement rend facilement les hommes esclaves. Et le Magistère social prône ici de civiliser la consommation[30]. Dans le même ordre d’idée, la doctrine sociale de l’Eglise joint comme valeur de la liberté de la personne à sa dignité. Cette valeur est fondamentale et le Pape Jean Paul II de déclarer une fois de plus : « Chacun a le droit d’initiative économique, chacun usera légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses efforts »[31]. Ainsi, la principale ressource de l’homme, c’est encore lui-même. C’est aussi l’intelligence de celui-ci qui fait découvrir les capacités productives de la terre. A cet effet, l’initiative libre et responsable révèle l’humanité de l’homme dans le domaine créatif et relationnel.

2. Le problème des fins et des moyens en économie.

La question téléologique est fortement suscitée en économie. Alors, le problème à poser ici est de savoir si la finalité de l’économie réside dans l’économie même ou dans une destination humaine et sociale. Est-ce que le souci du bien commun doit être sacrificiel ou conséquencialiste ? John Rawls, avec son impératif du respect de l’inviolabilité de la personne humaine, veut défendre la dignité humaine contre l’utilitarisme. Cette dignité est une priorité et une primauté face à la démarche conséquencialiste qu’use l’utilitarisme. Pour celui-ci, le sujet doit être dissous dans le collectif, car le bonheur collectif a la primauté sur le bonheur individuel. Là on peut croire qu’il y a une certaine destination sociale, mais comme nous l’avons évoqué plus haut l’initiative individuelle de chacun est nécessaire. Chaque individu est sollicité et non sacrifié pour l’intérêt de tous. Chacun a le devoir de s’engager et c’est l’union des efforts individuels qui caractérise le développement économique de tous.
En outre, le même problème se retrouve dans le système économique capitaliste qui se fonde essentiellement sur la recherche du profit. Mais par ‘capitalisme’ on entend aussi un système au service de la liberté humaine. Ainsi, « l’entreprise ne peut être considérée seulement comme une société de capital ; elle est en même temps une société de personnes »[32]. C’est la raison pour laquelle, ce qui doit primer c’est la complémentarité entre différentes catégories de personnes. En effet, riche ou pauvre ; employeur ou employé, on doit toujours se rappeler de ses droits et de ses devoirs. Alors le travailleur usera de sa conscience morale pour mener à bon terme sa tache. C’est dans ce sens que Rerum Novarum dit qu’ : « il (le travailleur) doit fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s’est engagé par contrat libre et conforme à l’équité »[33]. Il utilisera comme moyen la fidélité et l’amour pour son travail. Quant à l’employeur, il n’utilisera pas l’ouvrier comme un moyen mais comme une fin, car « il est digne de respect »[34]. C’est donc un devoir pour l’employeur de respecter les closes du contrat.
Somme toute, ce qu’il faut retenir est que la morale est à la base de toute activité économique. Les besoins de l’homme sont infinis et il est important de mesurer la chaîne de production et les moyens mis en œuvre pour préserver l’environnement et les individus. De même, il faut toujours mettre l’homme au centre de la vie économique, car non seulement il est l’auteur mais il demeure le but et la fin de tout acte économique.

V. EVALUATION CRITIQUE

Le bien commun de la société comme finalité des entreprises a une dimension ontologique. Il est fondé autant théologiquement que philosophiquement. L’homme est crée à l’image de Dieu, il se reconnaît à la rencontre de ses semblables : il trouve en eux la même image de Dieu qui est en lui. La découverte de l’autre l’oblige à lui faire du bien parce qu’il sert son humanité qui est dans l’autre, ainsi peut-on parler de l’universalité du bien chez tous les êtres raisonnables. Et le fait que le bien soit commun ne révèle aucune énigme quand nous savons qu’il y a le commun chez les êtres crées par un même Dieu et qui ont en commun la raison comme valeur qui fonde l’humanité. Ce qui serait étonnant c’est avoir le contraire du bien commun qui est une déviation à la vraie fin dernière. Celle-ci est Dieu selon la doctrine chrétienne[35], elle est le Bonheur selon les différentes doctrines philosophiques telle la philosophie d’Aristote, c’est aussi comme le veut Emmanuel Kant le Souverain Bien[36]. Le bien commun détermine la vie sociale, il (le bien commun) est ce que « les hommes poursuivent ensemble par une œuvre commune en laquelle ils sont dépendants, complémentaires, solidaires les uns des autres »[37].

Le fondement philosophique sur la question de relation entre les dirigeants de l’entreprise et leurs travailleurs correspond en quelque sorte avec la pensée de Karl Marx en qui remonte la critique de la société bourgeoise, société qui exploite économiquement les ouvriers. Marx est vivement contre la société qui opprime des ouvriers, une société économique qui ne favorise pas la reconnaissance mutuelle des membres de l’entreprise.

En ce qui concerne la mondialisation, certains pensent qu’elle serait la totale réapparition de l’expérience de la tour de Babel sur terre, où les citoyens parlaient la même langue mais ne se comprenaient pas, où ils sont égaux mais avec quelques uns qui se croient plus égaux que leurs concitoyens. Pour d’autres la mondialisation est l’image de la pentecôte où on parlait différentes langues et se comprenait. Ainsi donc si à l’âge de la mondialisation l’homme méconnaît de plus en plus l’humanité c’est qu’il s’est trompé de chemin. Il faut donc retourner à la source pour retrouver la voie de l’authenticité qui fait l’éclosion de l’humain. C’est à partir de là qu’une vie meilleure est possible et cela nécessite beaucoup d’efforts et de sacrifices.

En outre les chiffres effrayants du retour massif de la pauvreté (plus de 60 millions sur 300 millions aux USA, le pays le plus riche du monde, plus de 52 millions sur 300 millions dans les pays de l’union européenne, sans parler de l’Afrique et d’Asie)[38] nous montre l’échec d’un tel système qui met les Etats dans une condition où ils sont obligés à contribuer au développement d’un pouvoir privé mondial au détriment d’un pouvoir politique mondial qui pourrait assurer les conditions de base à leur population. Par exemple : « Plus les européens ont subordonné la politique technologique de l’Europe au soutien des besoins de l’industrie, plus ils ont contribué à se diviser entre eux et à donner à l’industrie le pouvoir de fixer l’ordre du jour du développement technologique, économique et social de nos pays »[39]. Donc la tache de l’Eglise est d’éclairer les hommes pour ce qui concerne les décisions qui engagent leur destin commun.

CONCLUSION

Au terme de notre réflexion qui portait sur la question économique vue par la Doctrine Sociale de l’Eglise, il en résulte que l’économie demeure d’une importance capitale au sein de toute société humaine dans la mesure où elle est appelée à promouvoir le respect de la dignité humaine, en plaçant l’homme au centre de toute activité économique. C’est dans cette perspective que nous allons dans le même sens que Kant qui disait: « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne d’autrui, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme un moyen»[40]. Ainsi, la doctrine sociale de l’Eglise nous sert comme un garde-fou pour aider les chrétiens et les hommes de bonne volonté à se retrouver dans un monde qui devient de plus en plus matérialiste.

BIBLIOGRAPHIE

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[1] GUERRY (Mgr), La Doctrine Sociale de l’Eglise, Paris, Bonne Presse, 1960, p.93.
[2] Ibid., p.95.
[3] S.S. Pie XII, Message radiophonique du 11 mars 1951. in GUERRY (Mgr), La Doctrine Sociale de l’Eglise, Paris, Bonne Presse, 1960, p. 93.
[4] Ibid., pp.98-99.
[5] Ibid., p.100.
[6] Ibid., p.97.
[7] Ibid., p.98.
[8] Encylopaedia universalis, corpus 6, Paris, 1988, p. 641.
[9] Le Discours Social de l’Eglise catholique, de Léon XIII à Jean Paul II, sous la direction de Denis Maugenest, Paris, centurion, 1985, [Concile Vatican II, Gaudium et spes, N°63], p.435.
[10] Collection Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, Paris, fidélité, 2005, No 338, p.191
[11] Idem.
[12] Cf. Ibid., No 339, p.192.
[13] JEAN XXIII, Encyclique Mater et Magistra, 1961, No 90.
[14] Le Discours Social de l’Eglise catholique, de Léon XIII à Jean Paul II, sous la direction de Denis Maugenest, Paris, centurion, 1985, N°91, p.274.
[15] Ibid., N°92.
[16] G. Savi, Les enjeux de l’éducation à l’âge de la mondialisation, dans la Revue Raison ardente, n°74, facultés de philosophie Saint Pierre Canisius, Kinshasa, 2006, p.53.
[17]Cf. Idem.
[18] Cf. Ibid., p. 54.
[19] Cf. Commission sociale des Evêques de France, Repères dans une économie mondialisée, Bayard, Cerf, 2005, p.4.
[20] R. PETRELLA, Ecueils de la mondialisation, urgence d’un nouveau contrat social, éditions les grandes conférences, Québec, 1997, p.9.
[21] M. MUTOYI, Le système de protection des droits de l’homme de l’ONU à l’aube du XXIème siècle, Yaoundé, PUCAC, 2002, p.12
[22] Compendium, Op. Cit., N° 366, p.205.
[23] Ibid., p.203.
[24] Le Discours Social de l’Eglise catholique, de Léon XIII à Jean Paul II, sous la direction de Denis Maugenest, op.cit., N°95, p.123.
[25] Ibid., N°17, p.237.
[26] Cf. R. PETRELLA, op. cit., p. 15
[27] Cf. Ibid., p.16.
[28] Compendium, op. cit., p.208.
[29] Cf. Discours Social de l’Eglise catholique, de Léon XIII à Jean Paul II, sous la direction de Denis Maugenest, op. cit., N°32, p. 744.
[30] Cf. Ibid., N° 28, p.739.
[31] Compendium, op. cit., N°336, p. 190.
[32] Ibid., N° 338, p. 191.
[33] Discours Social de l’Eglise catholique, de Léon XIII à Jean Paul II, sous la direction de Denis Maugenest, op. cit., N°16, p. 40.
[34] Idem.
[35] Cf. J. DAUJAT, Doctrine et vie chrétienne, Paris, Téqui, 1979. p. 99.
[36] Cf. E. KANT, Critique de la raison pratique, trad. par F. PICAVET, Paris, PUF, 1971.
[37] J. DAUJAT, op. cit., p. 113.
[38] Cf. R. PETRELLA, op. cit., pp. 25-26.
[39] Idem.
[40] E. KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Editions Bordas, 1988, p. 105.

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